Si nous représentons un chien par un livre, alors nous pouvons dire que l’éleveur écrit l’introduction : sélection génétique, et le chapitre 1: socialisation précoce, durant la phase d’imprégnation. Les chapitres suivants ainsi que la conclusion sont écrits pour son adoptant, avec qui il va partager sa vie.
Ici je vous partage quelques notions de la socialisation des chiots Alpinsaarloos.
Inné et Acquis
L’inné est la part de la personnalité, l’individualité de chaque chiot liée aux gènes transmis par les parents à la naissance, il relève de l’instinct.
L‘acquis est la part liée à l’environnement : environnement social, expériences positives et négatives, lieux, apprentissage, éducation.
Le chien loup de saarloos est un animal avec un bagage génétique un peu plus proche du sauvage, ils n’ont pas été sélectionnés au travers des générations pour aimer l’humain, lui obéir, ni évoluer dans un environnement non naturel. La différence entre l’inné et l’acquis est donc bien plus grande qu’avec un chien parce que nous devons accompagner un chiot de saarloos dans la découverte de tout ce qui est non naturel pour l’associer non pas à du potentiel danger, comme ses instincts innés lui dicteraient; mais à la normalité.
Période d’Imprégnation : « Imprinting is for life »
L’imprinting, ou imprégnation, est une théorie développée par l’éthologue Konrad Lorenz. Elle repose sur l’idée que les jeunes animaux sont particulièrement réceptifs à l’apprentissage et à l’attachement pendant une période critique de leur développement, connue sous le nom de « période sensible » (2-12 semaines). Lorenz a découvert que les animaux, y compris les chiens, peuvent former des liens profonds avec les premiers objets ou individus qu’ils rencontrent pendant cette période.
Lorsque nous appliquons la théorie de l’imprinting dans l’élevage de chiens Loups de Saarloos, nous cherchons à créer des expériences positives et des associations durables pendant la période sensible des chiots.
Les Avantages d‘un travail structuré pendant la période sensible :
- Confiance Accrue : Les chiots qui ont des expériences positives et qui forment des liens pendant la période d’imprinting ont tendance à être plus confiants à l’âge adulte.
- Meilleure Socialisation : L’imprinting favorise la socialisation précoce, ce qui est essentiel pour des chiens équilibrés qui interagissent positivement avec d’autres chiens, autres animaux, les humains et le monde hurbain.
- Comportement Équilibré : Les chiots qui ont bénéficié d’une imprégnation réussie sont plus susceptibles de présenter un comportement équilibré.
- C’est le seul moment possible pour leur enseigner des auto-contrôles de prédation.
- Les débuts d’apprentissage pour le suivi naturel
L’imprégnation représente un moment dans la vie d’un chien qui s’étend de la phase néonatale à leur 16e semaine (selon Lorenz), puis une autre étape « phase d’entrainement » qui couvre ensuite la période jusqu’a ses 4 mois.
Durant cette phase d’imprégnation, le cerveau accumule les informations, et les intègre, les expériences vécues durant cette phase sont profondément encrées dans l’esprit de l’animal, « imprinting is for Life ».
C’est (entre autres théories) par imprégnation que nous avons domestiqué le loup, il y a 30 000 ans, car le louveteau pris à la naissance et biberonné, vit avec l’humain durant cette phase précoce, et intègre cette situation et cette espèce comme étant la sienne.
Heureusement, pas besoin de biberonner nos chiots de saarloos. Mais cette phase d’imprégnation est intelligemment exploitée pour leur éducation / apprentissage lors d’un travail commun entre leur mère et l’éleveur.
Leur mère leur transmet le Language canin, les notions de communication, de partage, de respect sous peu qu’elle aussi soit bien équilibrée (d’où l’importance de choisir une mère bien dans sa tête et vivant dans un environnement sain et sans peurs).
L’éleveur leur transmet un apprentissage du monde humain, en leur faisant vivre des expériences qui seront associées à la normalité et à la sécurité.
L’humain a d’ailleurs identifié cette phase sensible depuis bien longtemps, celle ci est utilisée par exemple sur les chiens de berger, placés avec les moutons durant cette période pour leur faire développer un lien fort et unique avec des animaux qui appartiennent à une autre espèce.
L’apprentissage par association : créer des liens positifs avec le monde
L’apprentissage par association est un concept qui consiste à lier une expérience ou un événement à une émotion positive ou négative. Ces émotions sont ensuite durement encrées dans l’esprit du chien, et ont des conséquences sur son tempérament adulte, ici il s’agit de créer des associations positives pour aider les chiots à surmonter leur timidité innée et à devenir des chiens adultes plus confiants pour évoluer sans stress dans un environnement humain.
Les associations positives et le sentiment de sécurité renforcent la confiance en eux des chiots. Lorsqu’ils associent des interactions avec des humains, d’autres chiens et des environnements variés à des émotions positives, ils sont plus susceptibles de devenir des adultes sûrs d’eux et ouverts au monde.
- Expositions Régulières : Exposer les chiots à une variété d’environnements, de sons et de stimuli sensoriels dès le début de la période d’imprégnation en veillant à ce que ces expériences soient positives et surtout progressives.
- Rencontres avec des Personnes : Organiser des interactions positives avec différentes personnes de sexe, taille, conditions, et tenues différentes. L’humain inconnu doit toujours se conclure d’un sentiment agréable : câlins, nourriture, jeu…
- Interaction avec d’autres Chiens : Organiser des rencontres contrôlées avec d’autres chiens bien socialisés pour que les chiots développent leurs compétences sociales.
- Utilisation de Renforcements Positifs : Nous récompensons toujours les chiots avec des friandises, des caresses et des mots d’encouragement lorsqu’ils réagissent positivement à de nouvelles expériences.
Réduction de l’instinct par l’apprentissage : la prédation
Les chiens loups sont de grands chasseurs innés. Ils possèdent dans leurs gènes toute la liste de comportements pour réussir une chasse, ils sont instinctifs, presque comme des réflexes, il leur manque seulement un peu d’apprentissage et d’entrainement pour savoir coordonner ces patrons moteurs.
Nous voulons cependant que nos chiens vivent en harmonie avec le monde humain, qui comprend des moutons, des lapins, des chats et même des chiens qui se comportent comme des proies. Autant de choses que doit rencontrer le chiot durant sa phase d’imprégnation, puis d’entrainement (qui s’étend jusqu’a 16 semaines), puis régulièrement au long de sa vie (oui car ce qui est inné revient vite si nous n’entretenons pas l’apprentissage).
Là intervient mon travail avec les autres animaux, la période de vie la plus propice à la découverte de nouvelles espèces amies se trouve entre la 5e et la 7e semaine de vie (Jerry Hopes).
Les chiots AlpinSaarloos grandiront au contact de lapins, qui vivent en liberté dans la maison et à l’extérieur (ils vivent comme des chats, rentrent et sortent, ont une litière, grimpent partout…). Ils seront aussi exposés régulièrement lors d’exercices aux chevaux, chats, moutons et poules.
Par une exposition constante avec un animal proie, le chiot l’intègrerait comme étant normalement présent, puis associé à mon travail d’éducation par le détournement et renforcement positif j’amènerais les chiots à respecter cet autre être vivant et à s’en désinteresser. Je dois faire attention à ne pas créer de la frustration, car tout fonctionne par association.
Les expositions journalières aux lapins se feront donc stratégiquement dans des moments calmes, la tétée, la sieste, parce que le but n’est jamais de les mettre en échec. Plus ils réussissent l’exercice de détournement et de désintérêt, plus ils apprennent le comportement voulu. Et plus ils réussissent, plus je peux les exposer à des exercices plus difficiles (par exemple, les lapins avec eux dans le jardin, phase ultime! = grands espaces, extérieurs, lapins en mouvements rapides…).
J’ai adopté Ayla à 11 semaines, phase d’imprégnation quasi révolue, et première exposition au lapin à partir de cette date la. Le travail fut long (2 ans pour observer une stabilité dans son comportement). Pas de magie malheureusement: Aujourd’hui elle vit dans la maison avec le chat et les lapins en liberté j’observe un comportement stable de désintérêt et je peux la laisser « sans surveillance », avec eux dans la maison ou dans le jardin si je suis dans une autre pièce.
Elle fait pourtant la différence entre les animaux de la famille et les animaux extérieurs et sauvages:
Avec des proies inconnues de la famille, j’observe un nouvel interêt, légères fixations, puis on dirait qu’elle se rend compte de son vieux démon qui revient et me regarde toute contente « t’as vu j’ai réussi le détournement » et cherche la récompense.
Je sais que le vieux démon est la, pas loin et donc je reste attentive avec les proies extérieures à la famille, mais cette capacité qu’elle a apprise, à décrocher, me permet de l’avoir libre et concentrée. Je peux la mettre dans un troupeau de moutons, libre, je peux la mettre dans un poulailler, libre, détendue… Je peux la mettre partout, ma présence pas loin lui permet de garder contact avec son acquis et de ne pas démarrer aussitôt dans ses réflexes innés comme le ferait n’importe quel prédateur non entrainé durant cette phase précoce.
Et si je venais à la laisser longtemps sans surveillance dans un poulailler, l’excitation pourrait monter, et l’auto-satisfaction (par shoot de dopamine quand la poule est poursuivie, ou crie si il y a contact) viendrait renforcer la réapparition progressive des instincts de prédation.
Je suis transparente avec vous, mon but est de vous montrer la charge de travail pour un résultat « pas parfait »; mais on m’a tellement dit que j’étais folle de tester ça, que les chiens loups avaient trop d’instincts de chasse et d’indépendance de décision et que j’allais faire tuer mes lapins et mes chats. Je suis quand même contente du résultat que nous avons obtenu. Même les bergers sont surpris de voir un chien loup qui ignore leurs bêtes davantage que d’autres chiens de randonnée qu’ils croisent en pâture.
Et je suis persuadée, que cette phase d’apprentissage ajoutée à la phase d’imprégnation (que Ayla n’a pas eue), nous permettrait d’obtenir un résultat encore plus stable. Mais jamais définitif. L’exercice a besoin d’être régulièrement rappelé, travaillé toute la vie du chien.
Si au moment ou le chiot part de chez moi, il réussit ses exercices de détournement et d’auto-contrôle. Et que pendant six mois, l’adoptant ne le ré-expose pas au stimulus, il est très probable que le chien régresse fortement sur sa capacité d’auto-contrôle.
Socialisation intra-specifique: L’apprentissage des codes canins
Les Fondamentaux des Codes Canins :
Les codes canins sont un ensemble de comportements, de signaux corporels et sonores que les chiens utilisent pour communiquer entre eux. Ils incluent les postures de jeu, les signaux d’apaisement, les expressions faciales et les vocalisations. La compréhension de ces codes permet aux chiens de naviguer dans leurs interactions sociales, de comprendre les autres et se faire comprendre. C’est leur Language des signes à eux.
La période de socialisation précoce d’un chiot, est un moment déterminant pour son développement comportemental. C’est durant cette phase que les chiots apprennent à interagir avec leurs congénères et à comprendre les codes canins essentiels. À contrôler leur morsure et a déchiffrer les signaux d’apaisement pour les respecter et les utiliser à leur tour; à comprendre les postures hiérarchiques, à respecter l’espace qu’un congénère demande, les appels de jeu, les malaises…
Les chiots alpinsaarloos seront amenés à rencontrer toute sorte de chiens (minutieusement choisis pour la leçon que je souhaite qu’ils apprennent), de toute forme, taille, race, sexe dans un environnement contrôlé et sécurisé.
Impact à Long Terme :
Un chiot bien socialisé, qui a appris les codes canins correctement, a de meilleures chances de devenir un chien adulte équilibré et sociable. Cela réduit le risque de comportements problématiques tels que l’agressivité par peur.
Le relais de l’adoptant: continuer la socialisation à la maison
Après le travail effectué à l’élevage pendant cette phase de socialisation précoce, les adoptants prennent alors le relais et continuent l’apprentissage, planifié en fonction de leurs objectifs, cadre de vie et individualité du chiot. Ces exercices ne se font pas au hasard et ont besoin de structure, de connaissances en éducation canine positive et de temps.
Je propose bien sur à mes adoptants un suivi de l’éducation de leur chiot en fonction de leur niveau et de leur personnalité.
Pour les personnes qui souhaiteraient également un suivi en situation réelle de la part d’un éducateur canin, je recommande les suivants, dont les méthodes et les connaissances correspondent selon moi au tempérament du chien loup de saarloos:
Lire aussi l’article : Portée 2024 Alpinsaarloos
Sources (certaines sont téléchargeables, les autres sont des livres):
–« The importance of early life experience », Lisa Dietz, Anne-Marie K. Arnold, Vivian C. Goerlich-Jansson and Claudia M. Vinke
–« The effect of domestication and experience on the social interaction of dogs and wolves with human », Martina Lazzaroni1*, Friederike Range1, Jessica Backes2, Katrin Portele2, Katharina Scheck2 and Sarah Marshall-Pescini1*
-« Imprinting », Eckhard H.Hess
-« Les fondements de l’éthologie », Konrad Lorenz
-« Essais sur le comportement animal et humain. Leçons de l’évolution et de la théorie du comportement », Konrad Lorenz
-« Superstar Programm », Jerry Hope
-« Of wolves and men », Barry Lopez
– Crédit photo des chiots chez Giada Passerrotti, Lupi di San Francesco
Excellent article, le point sur la prédation est réconfortant pour les potentiels adoptants qui ont des petits animaux (comme moi avec mes petits matous)
Ayla a l’air vraiment zen au contact de potentielles proies, comme quoi rien est impossible.